Les sujets du baccalauréat général décryptés à la lumière de ce que nous avons étudié en classe cette année.
Tout d’abord une remarque générale : les 3 sujets donnés cette année sont des sujets classiques, sans surprises, et pour lesquels vous étiez préparés. Un sujet portait sur l’art, dernière notion vue dans l’année. Un sujet portait sur l’État et la Justice, notions que nous avons étudié durant les mois de janvier, février et mars. Enfin le texte portait sur les notions de science et de vérité, étudiées en mai, et que nous avons longuement révisées le lundi 13 juin.
Ce que vous allez lire n’est donc pas un « corrigé universel » mais une présentation de la manière dont vous pouviez utiliser nos cours pour traiter vos sujets.
Voici maintenant quelques considérations sur chaque sujet :
Nous avons vu que l’artiste n’était pas un travailleur comme les autres. Alors que l’artisan transforme très clairement et évidement le monde, puisqu’il travaille à changer la nature pour en faire un monde humain, cette idée est moins évidente pour l’artiste.
L’artisan transforme le monde parce qu’il fabrique des choses utiles à la vie. Mais l’artiste, lui, nous dit Platon, ne fabrique que des apparences. Il ne fait pas des objets, mais des « fantômes » d’objets (pour reprendre le mot grec « PHANTASMA ». D’ailleurs on ne dit pas de l’artiste qu’il « travaille ». On dit qu’il « joue » (jouer de la musique, jouer une pièce, etc.). L’artiste ne produit que des apparences, des sons, des images, un spectacle qui ne donne aucun objet réel, mais seulement un spectacle. Donc l’art semble bien éloigné du monde, du réel. L’artiste semble bien plutôt nous permettre d’échapper au monde en basculant dans un univers imaginaire. Ne parle-t-on pas de l’activité artistique en disant qu’elle est une création (la création artistique) ?
La problématisation consiste donc à questionner cette première réponse évidente. L’artiste n’est-il qu’un joueur, qui se perd dans son imaginaire ? Quelqu’un qui nous divertit simplement des dures réalités de la vie, qui nous permet d’échapper au monde qui nous entoure ?
C’est encore sur Platon que nous pouvons nous appuyer pour problématiser cette première thèse. En effet, si l’artiste ne produit que des apparences, celles-ci exercent un puissant pouvoir de fascination sur l’esprit du public. C’est ce que Platon appelle « l’Eidolon », l’idole. Donc l’artiste ne fabrique que des apparences qui ne changent pas le réel, mais qui ont un puissant pouvoir d’influence sur l’esprit humain.
Ici il faut rappeler ce que nous avons vu très longuement au premier trimestre, et révisé le mercredi 1er juin et le lundi 13 juin : l’être humain ne vit pas directement, immédiatement dans le réel. Il se représente le monde. Le « monde » est une construction symbolique de l’esprit, au départ généré par la culture. Il y a donc une seule nature, dans laquelle vivent tous les humains, mais une multitude de « mondes » qui renvoient à des cultures différentes. Or, parce que l’artiste est capable de fasciner l’esprit, de le charmer, il a un réel pouvoir de transformer le monde, c’est à dire en fait la vision du monde.
Les religions et les Etats ne s’y sont pas trompés : ces institutions se servent des artistes pour tenter de faire passer leurs idées, de les implanter dans les esprits. (ici vous pouviez prendre les exemples de tableaux religieux – crucifixion, statue de Shiva de Bangalore – ou de tableaux politiques – Napoléon sur son trône impéral peint par Ingres OU portrait de Adolphe Hitler en « sauveur » de la nation allemande). Et le premier à avoir théorisé cela a été Platon qui rappelle que dans la Cité Idéale qu’il imagine, les poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, devront travailler sous la responsabilité et la supervision du chef de l’État, le philosophe roi.
Voilà pour vos deux premières parties. Une troisième partie pouvait réfléchir à l’importance, au contraire, de la liberté de l’artiste. Toute l’histoire de l’art depuis 2 siècles est en effet marquée par la volonté des artistes de ne plus se laisser instrumentaliser, mais de libérer leur force créatrice en ne se soumettant pas aux institutions sociales (art moderne, art contemporain – les exemples fameux de « fountain » de Duchamp, ou encore la « merda d’artista » de Manzini).
C’est un sujet très classique, et si vous aviez bien révisé votre cours sur l’État et la politique, certains d’entre vous ont dû produire d’excellentes copies. Ne paniquez pas si vous n’avez pas suivi la même ligne argumentative que moi. Il y avait plusieurs façons différentes d’entrer dans ce sujet.
Tout d’abord la réponse évidente apparaît clairement, il n’est donc pas difficile d’entrer dans la problématique. NON, ce n’est pas à l’État de décider, parce que tout être humain a une conscience morale par laquelle il est confronté à sa liberté. Et cette liberté c’est le pouvoir que nous avons d’être autonomes et donc de nous fixer nous mêmes nos propres règles, nos propres limites. Le propre de l’homme c’est donc justement de pouvoir « décider de ce qui est juste ».
Notre capacité à penser le bien et le mal, (c’est la même chose que le « juste et l’injuste ») fait donc de nous des êtres capables d’être justes. Mais voilà, ça ne veut pas dire que nous sommes des êtres parfaitement justes (des anges). Nous avons en nous un penchant animal à l’égoisme (texte de Calliclès et histoire de l’anneau de Gygès). Ce penchant crée en nous une propension à l’injustice. Nous n’aimons pas que la balance soit équilibrée. Nous préférons qu’elle penche en notre faveur. Un très bon exemple de cela est la vengeance.
La vengeance est un acte délibéré et personnel par lequel je me fais justice moi-même. C’est bien la preuve que l’individu est capable de décider de ce qui est juste.
Mais la vengeance est aussi un acte toujours subjectif parce que je suis à la fois juge et partie. Donc mon acte de vengeance, que je perçois comme juste, sera sans doute perçu comme injuste et offensant pour la personne sur laquelle il s’exerce. La vengeance devient ainsi un cercle vicieux sans fin, qui ne permet pas d’établir la justice.
C’est pour cela que l’État finit par s’imposer comme l’institution qui définit le droit, impose des limites communes, les lois. La justice prend alors la forme de l’égalité de tous devant la loi commune. Là vous avez un long développement à faire analysant la définition complète de l’État (monopole de la violence physique légitime, etc.).
Nous avons donc déjà deux parties :
1- l’être humain est capable, par lui-même, de décider de ce qui est juste. Mais cela débouche sur des situations conflictuelles.
2- l’État permet d’établir la justice sous la forme de lois communes imposées à tous.
Mais on est loin d’avoir terminé :
3- Mais qui, dans l’État, « décidera » de ce qui est juste ? Vous pouvez vous rappeler de la réponse de Platon. C’est au chef de décider, et ce chef doit être le philosophe roi, le plus excellent des hommes. Celui qui est doué de sagesse. Cette solution doit elle même être problématisée. (nous avons vu trois critiques en cours : celle de Kant, celle de Diderot, et celle de Popper).
4- c’est alors que vous pouviez parler de la conception Républicaine de L’État. Dans la République les lois sont la chose commune « res publica » d’où l’importance des dispositifs démocratiques dans la recherche de la justice, des bonnes lois (vote, médias libres, débat public, droit de manifestation, etc.)
Vous voyez, on pouvait faire 4 parties, et même plus. Vous aviez quantité d’informations sur ce sujet. (remarque : on pouvait si on le souhaitait, faire un tout autre devoir en parlant de la religion, puisque comme l’État, les religions sont des institutions qui produisent un discours normatif sur le juste et l’injuste).
C’était le sujet le plus difficile. Mais c’était le sujet le plus en rapport avec ce que nous avons révisé les mercredi après midi et ce lundi 13 juin. Donc pour les plus courageux qui ont pris ce texte, bravo, et si vous vous êtes rappelé de votre cours sur la méthode scientifique, il est fort possible que vous ayez réalisé une excellente explication de texte. Je vous propose une explication phrase à phrase du texte.
« Pour qu’une observation puisse être qualifiée de scientifique, il faut qu’elle soit susceptible d’être faite et répétée dans des circonstances qui comportent une définition exacte, de manière qu’à chaque répétition des mêmes circonstances on puisse toujours constater l’identité des résultats, au moins entre les limites de l’erreur qui affecte inévitablement nos déterminations empiriques (* issues de l’expérience. »
Ouf ! Ça commence bien, une phrase de 5 lignes. Mais si on lit lentement, ce n’est pas si compliqué. Cournot parle de l’observation, et des conditions qu’il faut respecter pour que cette observation soit scientifique. Déjà ici, vous pouviez placer votre savoir pour éclairer le texte. Le mot « observation » est effectivement au coeur de la démarche scientifique. B Russell nous a donné une définition de la méthode scientifique qui commence par ces mots : il s’agit de partir de l’observation et du raisonnement basé sur celle-ci. Or Cournot nous dit simplement qu’un scientifique observe, mais pas comme tout le monde. Il observe de façon méthodique. Dans cette méthode entrent trois caractéristiques : « répétition », « définition exacte », « identité des résultats ».
Observer, on fait ça tous les jours. Notre œil peut se poser sur un spectacle, et le détailler. Un coucher de soleil, la pleine lune, l’eau d’une rivière, le vent dans les arbres. Tous les humains sont capables d’observer le monde. Mais pour que cette observation puisse être une source de connaissance, il faut d’abord qu’elle puisse être répétée. Le but de la science est en effet de découvrir les régularités de la nature afin de formuler des lois naturelles.
Donc cette répétition doit aussi être constatée avec des mots précis, ou définitions exactes. Prenons l’exemple de l’observation que fait SEMMELWEIS de l’excessive mortalité des parturientes dans son service de gynécologie : il va effectivement dans un premier temps s’efforcer d’affiner son observation
– en tentant de définir exactement ce qu’il se passe. Ainsi il fait des statistiques en accumulant les cas, ce qui lui permet de produire une observation précise : on observe une plus grande mortalité dans son service que dans le service voisin.
– puis il va effectivement s’efforcer de détailler son observation. Il cherche ce qui varie d’un service à l’autre. (les femmes de son service voient passer le prêtre, elles sont examinées par des étudiants en médecine).
Il faut en outre que, dans les circonstances définies, et entre les limites d’erreurs qui viennent d’être indiquées, les résultats soient indépendants de la constitution de l’observateur ; ou que, s’il y a des exceptions, elles tiennent à une anomalie de constitution, qui rend manifestement tel individu impropre à tel genre d’observation, sans ébranler notre confiance dans la constance et dans la vérité intrinsèque du fait observé.
Cette longue phrase décrit une caractéristique essentielle supplémentaire de l’observation scientifique : elle doit être objective. Elle ne doit pas être subjective. Lorsque j’observe, lorsque MOI OBSERVER OBJET, l’important, c’est « OBJET », ce n’est pas « MOI ». Moi, je dois disparaître dans mon attention à l’observation. L’enquête de Semmelweis est aussi intéressante sur ce point : la solution de l’énigme, Semmelweis ne la voit pas parce qu’il est lui-même médecin. Il se voit comme un soignant, pas comme un être qui porte l’infection et la mort. Il y a là un biais subjectif ou biais cognitif qui fait que cette hypothèse ne sera abordée qu’après qu’un médecin meurt lui-même d’une entaille au doigt. Mais avant cela, Semmelweis reste aveugle à une observation pourtant évidente : ce sont les médecins qui touchent les patientes.
Dans la phrase de Cournot, on voit apparaître un autre mot que le mot observation, c’est le mot « fait », qui à lui tout seul, résume parfaitement l’enjeu. Dans l’observation, l’oeil et le cerveau de l’observateur doivent rester aussi neutres que possible pour que l’objet apparaisse libéré des croyances que l’on projette sur lui.
La deuxième partie du texte commence ici. Et comme tout cela est très long, je vais être plus bref. À partir de « mais rien de semblable ne se rencontre dans les conditions de l’observation intérieure » Cournot arrête de parler de la méthode scientifique. Il parle de cette situation très courante dans laquelle je me retire en moi-même et je pense à ce que je suis. Je m’efforce de me connaître moi-même. Toute la suite du texte nous dit que cette activité réfléxive peut être passionnante, mais elle ne peut être scientifique parce qu’elle n’obéit pas aux règles de l’observation scientifique définies dans la première partie du texte.
La raison de cette différence, nous l’avions détaillée en cours, et aussi lundi 13 juin entre 8h et 9h30 : nul autre que moi n’a accès à mon flux de pensée. La phrase de Descartes « je pense donc je suis » est à la fois essentielle pour moi, immédiate et évidente… et en même temps elle est inaccessible immédiatement aux autres qui ne peuvent observer que mon visage et écouter mes paroles pour avoir accès à ce flux de pensées.
En résumé ce texte nous demande de comprendre qu’il y a une distinction essentielle entre l’observation de la nature ET l’observation de soi. La première peut prendre une forme scientifique mais la seconde ne le pourra jamais. En effet l’observation de la nature peut constituer des faits observables par plusieurs observateurs indépendamment de leur subjectivité, alors que l’observation de soi est nécessairement intime, accessible dans sa précision et sa factualité uniquement à celui qui pense. Ce texte est un texte sur le caractère nécessairement singulier du rapport de l’être humain à lui même.
Et c’était un texte très difficile !