Lui et moi. Deux enfants entrant dans l’existence. Deux tout petits êtres humains accueillis chacun dans une famille en France, à Marseille.
“La vie est belle le destin s’en écarte
Personne ne joue avec les mêmes cartes
Le berceau lève le voile, multiples sont les routes qu’il dévoile
Tant pis on n’est pas nés sous la même étoile”
Dès la naissance, la vie humaine s’inscrit, nous disent les poètes, dans un “destin”. Mais ce destin, en réalité, n’est pas inscrit dans les “étoiles”, car ce n’est pas dans le ciel que se jouent nos destinées, c’est ici, sur Terre, c’est ici, plus précisément à l’intérieur d’une société qui, avant même que nous y soyons né, a attaché à telle occupation sociale tel niveau de rémunération, tel type d’habitat, tel type de quartier, tel mode de locomotion.
C’est pour cela que la justice se présente avant tout comme une interrogation, prélude à une action. Une interrogation, d’abord: est-ce que l’état des choses, la vie sociale telle qu’elle nous a accueillis enfants est acceptable ? Une action ensuite: si cet état des choses n’est pas acceptable, comment faire pour le changer ?
“Pourquoi fortune et infortune ? Pourquoi suis-je né
Les poches vides pourquoi les siennes sont-elles pleines de thunes ?
Pourquoi j’ai vu mon père en cyclo partir travailler ?
Juste avant le sien en trois pièces gris BMW
La monnaie est une belle femme qui n’épouse pas les pauvres
Sinon pourquoi suis-je là tout seul marié sans dot
Pourquoi pour lui c’est crèche et vacances
Pour moi c’est stade de foot sans cage, sans filet, sans même une ligne blanche
Pourquoi pour lui c’est l´équitation, pour moi les bastons”
Les poètes, dans cette chansons, répondent clairement: que peut-il y a avoir de juste à mettre des cartes dans les mains de petits enfants, et des cartes très différentes ? Peut-on accepter qu’on place, dès leur naissance, les enfants à une table de poker où on leur distribue des cartes non pas au hasard, mais en déterminant au contraire soigneusement, qui recevra des 2 et des 4, qui des AS et des Rois ?
Chacun, nous dit la constitution des Etats Unis, a droit à la “recherche du bonheur”. Mais que vaut ce droit lorsque dès la naissance certains enfants se voient attribuer un capital qui augmentera prodigieusement leurs chances de réussite, pendant que d’autres se voient au contraire affubler d’une dette qui pèse sur leurs épaules ?
“Pour lui la coke, pour moi les flics en faction ?
Je dois me débrouiller pour manger certains soirs
Pourquoi lui se gave de saumon sur lit de caviar ?
Certains naissent dans les choux, d’autres dans la merde
Pourquoi ça pue autour de moi, quoi ? Pourquoi tu m’cherches ?
Pourquoi chez lui c’est des Noël ensoleillés ?
Pourquoi chez moi le rêve est évincé par une réalité glacée ?
Et lui a droit à des études poussées
Pourquoi j’ai pas assez d´argent pour acheter leurs livres et leurs cahiers ?
Pourquoi j’ai du stopper les cours ?
Pourquoi lui n’avait de frère à nourrir ? Pourquoi j’ai dealé chaque jour ?”
C’est à cause de cette question que la justice ne saurait se limiter à l’affirmation que “tous les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit”. Car cette égalité n’est pas le seule cadeau que leur fait la société à la naissance. Cette égalité de droit s’accompagne d’une puissante inégalité de fait qui, dès le départ permettra à certains enfants de jouir pleinement de leurs droits, et mettra au contraire d’autres enfants sous une pression continue et débilitante.
Il ne saurait donc y avoir de justice sans équité. Ici l’équité apparait comme “un correctif de l’égalité” nous dit Aristote. Nous avons tous une égalité de droits à l’héritage ? L’équité intervient pour empêcher l’injustice qui va résulter de cette situation en ponctionnant les héritiers les plus riches de “droits de succession” afin de financer des programmes sociaux à destination des enfants qui, eux, ne bénéficieront pas de cet héritage.