Cet article s’appuie sur le visionnage du documentaire « la finance lave plus vert », diffusé par ARTE en 2022, mais qui n’est plus en accès libre depuis.
Pour commencer nous devons situer le problème dans le champ philosophique qui est le notre, soit celui des 17 notions de notre programme. Le problème de l’écoblanchiment est à la couture de 3 de ces notions : la nature, la technique, et la justice. Alors commençons par un rappel des fondamentaux…
L’être humain entretient avec la nature un rapport problématique. Pour commencer, comme tous les autres animaux, nous sommes animés par le mouvement vital fondamental que Spinoza appelle le conatus, nous faisons « tout ce qui est en notre pouvoir pour persévérer dans notre être ». Mais le « pouvoir » de chaque espèce animale est limité par sa nature biologique. Le lion n’a pas plus de pouvoir pour persévérer dans son être que celui que lui offre son corps de lion, Et l’orque ou la fourmi, c’est pareil. Or l’homme a franchi cette limite essentielle pour les autres espèces parce qu’il est capable d’appliquer son intelligence non seulement à la fabrication d’outils, mais aussi au perfectionnement toujours plus rapide de ces outils de génération en génération. Au final, nos progrès techniques nous ont permis de nous affranchir des limites de notre niche écologique, la niche écologique étant la place qu’occupe un animal dans son écosystème.
Mais cette puissance technique sans limite naturelle, cette augmentation continue de notre capacité de transformer la nature pour constituer le monde humain se heurte pourtant bien à une limite : la dynamique même de notre progrès technique est potentiellement mortifère. Pourquoi ? Parce qu’elle nous amène à considérer la nature comme un stock inépuisable de ressources à exploiter alors qu’en réalité,
- d’une part la nature n’est pas inépuisable,
- d’autre part un grand nombre des ressources que nous exploitons se renouvellent grâce au jeu des forces et des équilibres naturels, forces et équilibres que notre empreinte sur la nature met en péril.
Il a fallu de trop longues années pour qu’un consensus, enfin, apparaisse à ce sujet. Mais c’est enfin le cas. Toutes les personnes sensées ont accepté de prendre conscience de ce problème, problème que l’on résume d’un adjectif : le problème écologique.
Devant ce mouvement de prise de conscience générale, voire planétaire, les acteurs économiques qui veulent simplement continuer à faire du profit ne peuvent plus se contenter de nier l’importance du problème écologique. Ils doivent désormais se donner une image verte, et s’efforcer de faire en sorte que seule cette image soit vue, et pas ce qu’elle cache. Ce travestissement, c’est justement ce qu’on appelle « l’écoblanchiment » ou « greenwashing ». On recourt ainsi à des stratagèmes de communication pour afficher une image et une histoire publique de l’entreprise qui recouvre et dissimule ce qu’on ne veut pas montrer.
Dans tous les secteurs de l’économie on trouve des entreprises qui se servent de ce stratagème, et notre documentaire s’intéresse plus particulièrement au domaine de la finance, ce secteur économique qui consiste à gérer l’argent d’autrui pour l’investir et ainsi dégager du profit. Le secteur de la finance a ainsi besoin d’apparaître comme un secteur qui s’occupe lui aussi de l’avenir de la planète, et investit l’argent qu’il reçoit de ses clients avec conscience et responsabilité. Ce que montre le documentaire est qu’il n’a pas besoin que cela soit effectivement le cas, il a besoin que cela paraisse effectivement le cas.
Pour cela il doit communiquer sur le fait qu’il sait se tenir, qu’il est bien réglé. Des critères de bon investissement (notation ESG), le recours à des agences de notation indépendantes pour évaluer les investissements selon ces critères, semblent montrer qu’il y a bien un progrès important.
Or le document va prendre deux exemples d’entreprises « bien notées » par ces procédures, et qui pourtant ont un passif environnemental très important :
– l’entreprise UMICORE
– l’entreprise MAJID AL FUTTAIM.
UMICORE prétend être au coeur de la transition énergétique et du passage aux énergies renouvelables, mais elle a réussi à faire oublier que son activité principale, au cours du Xxème siècle, a créé des désastres écologiques dont les conséquences catastrophiques (contamination de larges zones géographiques, cancers) se font toujours sentir.
MAJID AL FUTTAIM prétend être une chaîne de centres commerciaux responsables, et a reçu une labellisation en ce sens, alors même qu’elle installe des pistes de ski en plein milieu du désert… avec des pingouins dedans. L’intervention du directeur des installations de ski est particulièrement éclairante. On voit que son métier consiste notamment à débiter un discours convenu sur l’écologie et la soutenabilité de ce projet alors même que ses pieds sont dans la neige, et qu’il fait 45 degrés dehors !
Enfin le documentaire prend l’exemple d’une ancienne responsable d’une grande banque chargée par celle-ci de mettre en place un fond vert, et qui se fait mettre à la porte dès qu’elle s’efforce de vraiment mettre au point des critères de classement solide.
La notion philosophique de justice est au coeur de ce documentaire, ou plus exactement, c’est la notion d’injustice qui est au coeur de ce documentaire. Il est une terrible illustration des paroles de Glaucon dans la République de PLATON : il semblerait que pour bien des hommes puissants sur cette terre, l’important ce n’est pas d’être juste, c’est de paraître juste tout en pratiquant impunément l’injustice.