Dans cet article, vous trouverez une synthèse des épisodes 2 et 3 de cette excellente série documentaire d’ARTE.
Le titre, tout d’abord, est essentiel. La question est en effet étrange. La question habituelle est plutôt « que peut-on manger ». Le « quoi » et le « qui », ce sont des mots très différents. Le mot « quoi » renvoie aux choses, et le mot « qui » renvoie aux personnes. Ainsi la réponse évidente à cette question est « personne ! On ne peut manger personne, parce que une personne, ça se respecte.
Mais en réalité la situation est beaucoup plus complexe, parce qu’il n’y a pas, dans notre réalité, que des choses d’un côté, et des personnes de l’autre. Au milieu, il y a la vie, les êtres vivants. Et, nous ne mangeons pas les choses. Ce que nous mangeons, ce sont ou des êtres vivants (salade, volaille, fromage, fruits), ou les produits de ces êtres vivants (fruits, lait, fromage).
La question « qui peut-on manger ? » interroge le fait que nous mangions justement des êtres vivants qui sont dotés d’un système nerveux voire d’une conscience qui les rendent sensibles au plaisir et à la douleur. Comment justifions nous cela ?
3 justifications sont produites : tuer des animaux pour les manger serait NATUREL, NORMAL, NECESSAIRE. Alors examinons chacune d’entre elle :
1) est-il naturel de manger des animaux. La réponse est « oui », dans la mesure où notre système digestif est tout à fait adapté à la digestion de la viande. Plus encore, la consommation de viande, dans l’histoire de notre espèce, a joué un rôle crucial à un moment où, grâce au perfectionnement des techniques de chasse, elle a grandement facilité la nutrition et le développement de nos ancêtres.
2) est-ce NECESSAIRE de manger des animaux ? Là, la réponse est clairement non. Les nutriments que l’on trouve dans la viande peuvent être trouvés dans des produits végétaux. La seule exception est la vitamine B12, qui peut être prise sous forme de complément alimentaire. Dans les sociétés développées, on pourrait très bien, du fait de la variété de l’alimentation disponible, se passer de la consommation de tout produit d’origine animale.
3) est-ce NORMAL de manger des animaux ? C’est en fait la question centrale de ce documentaire. Car la plupart des gens confondent le mot « normal » et les mots « vrai » ou « juste ». Ce qui est « normal », c’est ce qui est définit comme acceptable, juste, bon, recommandable, par une société donnée. La normalité est donc un concept très fluctuant et relatif à la société dans laquelle on se trouve. Par exemple, dans la société Spartiate de l’Antiquité, l’infanticide était une pratique normale, alors qu’elle est interdite dans notre société.
Ainsi chaque individu grandit à l’intérieur d’une société qui lui transmet un ensemble de représentations, de valeurs, et d’affect, ce qui va orienter et fortement déterminer le cours de ses pensées et de ses actions.
La réponse est donc simple : OUI, dans la mesure où notre société valorise la consommation de viande, c’est normal. Mais le documentaire va plus loin en nous proposant d’interroger philosophiquement cette normalité.
En effet, notre société trouve normal d’abattre des porcs et de manger leur chair, alors qu’elle réprouverait le fait qu’un individu égorge son chien ou son chat pour le faire cuire au four avec des pommes de terre. Il y a là une incohérence qui interroge. Nos relations avec nos animaux de compagnie montrent que nous avons tout à fait conscience que les animaux qui nous entourent ont une sensibilité, une émotivité, qui fait que nous pouvons sympathiser avec eux, et nouer des rapports affectifs. Mais alors, comment pouvons nous accepter comme normal la mise à mort d’animaux aux capacités sensibles et affectives tout à fait comparables, sinon supérieures ?
La réponse se trouve dans la manière dont notre société compartimente les différents secteurs de la réalité. Les animaux de compagnie font partie de notre univers social, alors que les animaux d’élevage sont mis à mort à l’abri des regards et des oreilles.
Le deuxième documentaire approfondi cette interrogation en se tournant vers deux philosophes : Peter Singer et Gary Francione. Ils pensent tous deux que cette normalité est problématique et finalement injuste, mais leurs explications sont assez différentes :
-Peter Singer est un utilitariste. Selon lui, le meilleur des mondes possibles, le plus juste, est celui dans lequel la somme des souffrances est la plus faible, et la somme des contentements est la plus grande. Or les animaux sont, contrairement à ce que disait Descartes, des êtres sensibles. Nous ne pouvons donc pas justifier par notre plaisir de consommer de la viande le massacre de milliards d’animaux chaque année, parce que la quantité du plaisir généré est évidement très inférieure à la quantité de souffrance.
– Gary Francione pense lui que les animaux doivent carrément se voir reconnaître un statut juridique, et ne plus être considérés comme des biens, de sorte qu’il n’est pas question de les mettre à mort en vue de notre simple confort.
Ce documentaire est intéressant par rapport aux notions de conscience et de moralité. Nous découvrons que notre rapport au « bien » et au « mal » n’est pas évident. Nous jugeons du bien et du mal en fonction de représentations que nous avons dans notre tête, et cela peut nous amener à croire faire bien, alors que nous faisons mal, ou inversement à croire mal faire, alors que nous faisons bien.
Ce documentaire est donc philosophique dans la mesure où il nous invite à nous interroger sur nos représentations, nos valeurs, nos comportements en sortant de l’idée faussement simple et faussement juste que « c’est normal » !