la recherche de soi

Je suis moi. Une seule phrase, et deux mots, « je » et « moi », qui ne renvoient qu’à une seule et même réalité n’est-ce pas ? Si vraiment la relation entre le « je » qui pense et le « moi » qui est, était aussi évidente et immédiate, alors l’expression « recherche de soi » n’aurait pas beaucoup de sens. Et pourtant le « je », qui pense, là, au moment présent, est incapable de faire le tour du moi qui est. D’abord parce que le moi qui est est un moi qui a un passé, un passé si profond, si riche de signification que le « je » qui pense, là, au moment présent, aurait besoin de tout un livre (les Confessions de Jean Jacques Rousseau, par exemple), voire d’une grosse dizaine de livres (à la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, par exemple), pour tenter de faire le tour de tout ce que le moi a été.

Mais le moi qui est a aussi… un futur. Et le « je » qui pense, là, présentement, doit bien se rendre à l’évidence que les choix qu’il s’apprête à faire risquent bien de changer le moi qui est. (La vie de Raskolnikov bascule, au moment où il décide de devenir un assassin, et tue à coup de hache la vieille dame, dans crime et Châtiment). Non seulement l’être humain peut donc choisir ce qu’il est, mais cette capacité de choisir va jusqu’à renoncer à son humanité. Seul l’humain peut se comporter de façon inhumaine.

Être soi, quand on est un lion, c’est être un lion. Être soi, quand on est une gazelle, c’est être une gazelle. L’animal, de ce point de vue là, est une bête. Non qu’il soit vide d’intelligence, ou d’émotions, dépourvu de conscience. C’est plutôt que cette conscience, ces émotions, cette intelligence, se développent sur un chemin étroitement délimité par la nature de son espèce. Il n’y a pas grande étrangeté dans le rapport du lion à lui-même, car ce rapport est porté par le génie de son espèce. C’est pourquoi, comme le dit Rousseau, les animaux, dans leur rapport à eux-mêmes, « coulent des jours tranquilles et innocents ».

Pour nous, humains, finie la tranquillité, finie l’innocence. Nous ne sommes plus rivés à une nature qui nous dicte notre conduite. En nous un vide se creuse, et ce vide angoissant repose pourtant sur la simple prise de conscience que « je pense, j’existe », comme le dit Descartes. Le lion aussi ? La gazelle aussi ? Pensent et existent ? Oui, à ceci près que moi je sais que je pense, je sais que j’existe, de sorte que, sitôt que j’ai prononcé ces quelques mots, une question m’assiège : « Mais qu’est-ce donc que je suis ? » et cette question là, elle laisse notre lion et notre gazelle tranquilles… et innocents.

Alors, « qu’est-ce donc que je suis ? » Ici Sigmund Freud nous invite à la prudence : avant toute réponse, nous devons reconnaître que cette question est inquiétante. L’être humain, se tournant vers son intériorité, y découvre d’obscures profondeurs, obscures, mais aussi vivantes, bruissantes. C’est ce qu’il appelle « l’inquiétante étrangeté ». En nous, au fond de nous, la nature s’est tue, elle n’a plus ces paroles claires qui conduisent le Lion et la gazelle le long du chemin de leur existence. La nature s’est tue, mais elle remue encore, et ce n’est pas le silence. En nous, au fond de nous, « la volonté parle encore quand la nature se tait ».

Cette volonté, elle est à la fois puissante, et informe, « inquiétante étrangeté ».

cette inquiétante étrangeté n’est pas vivable. Il faut qu’en nous ce qui nous anime devienne humain. Toute cette énergie a vocation à se déverser dans la forme de notre humanité, le « soi ». Mais où trouver ce « soi » que nous devons devenir ? Pour atteindre son humanité, l’être humain doit s’élever de la chair inquiétante et étrange, vers l’esprit. L’esprit ? Quel mot étrange ! Comment le « je » reconnaîtra-t-il l’esprit ? Parce qu’il prend une forme reconnaissable par lui, qu’on appelle le symbole.

Vous êtes perdus ? C’est pourtant simple ! Voici quelques symboles qui ont, jusqu’ici, aidé beaucoup de « Je » à s’orienter dans leur recherche d’eux-mêmes : Spiderman, Jésus de Nazareth, Kilian M’Bappé, le Bouddha… et si nous ouvrons chacune de ces figures symboliques nous y trouvons d’autres symboles : le courage, la justice, la véracité, la réussite, la victoire, etc.

Tout être humain est voué à se chercher lui-même, c’est-à-dire à épouser une forme symbolique, s’efforcer de s’y établir, et de l’incarner. Et ainsi, tout l’énergie inquiétante et étrange qu’il recèle, en se déversant dans cette forme symbolique, s’harmonise, s’humanise.

 

Mais sur ce chemin, l’être humain, au commencement de son existence, est dans un état de totale vulnérabilité. Nous naissons enfants avant que d’être hommes. Cette vulnérabilité va être, au moins dans un premier temps, prise en charge par d’autres humains, et ce sont leurs symboles à eux qui vont venir planer au dessus de notre berceau, et s’efforcer de nous attirer à eux, pour que nous nous pénétrions de leur forme, de leurs valeurs. D’où le caractère essentiel, sur notre chemin d’humanité, de l’éducation.

 

LISTE DES CONCEPTS ESSENTIELS

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