état de conscience pleinement satisfaite
La définition du bonheur du bonheur au début de cet article est donc fort simple: le bonheur reposerait sur la pleine satisfaction. Mais voilà, la pleine satisfaction de quoi ? Et bien, comme le dit Kant, de tous nos penchants, de toutes nos inclinations. Sauf que cela ne veut rien dire… car nous venons de voir que notre conscience est imagination. Donc, comme le dit Kant, le bonheur est un “idéal de l’imagination“. Comment un être humain pourrait-il être pleinement satisfait, étant donnée cette pensée qui court en lui en permanence, étant donnée cette imagination lui présentant sans cesse de nouveaux désirs ? Notre conscience fuit par l’avant, elle fuit par l’arrière (c’est ce que Saint Augustin appelait la distensio animi), alors comment pourrions-nous être pleinement satisfaits ? Homo sapiens ? Et bien non, la sagesse, nous ne l’avons pas.
La conscience réfléchie est souvent présentée comme le grand pouvoir de notre espèce, qui s’est d’ailleurs elle-même dénommée “homo sapiens”, l’homme sage. Sages, nous ? Mais nous ne tenons pas en place ! Nous nous épuisons à tenter de tenir ensemble les mille paramètres de notre existence. Notre pensée est si puissante qu’elle vagabonde en permanence, occupée à prévoir, à organiser, à résoudre, à comprendre, à dénouer, à découvrir. Penser, penser, penser, penser sans cesse. Voilà notre puissance, voilà notre croix. Vous pouvez le vérifier sur vous-même, par une simple et rapide expérience: asseyez vous, fermez vos yeux, respirez calmement, et essayez de vous concentrer sur votre respiration, juste sur votre respiration. Ne rien avoir d’autre à l’esprit que le mouvement de votre cage thoracique qui monte et qui descend. Vous verrez qu’après quelques secondes à peine, une pensée, déjà, aura traversé votre esprit, troublé votre méditation. C’est que notre cerveau d’homo sapiens n’a cessé de se spécialiser, depuis des centaines de milliers d’années, dans la capacité à résoudre des problèmes, c’est-à-dire aussi… à s’en créer sans cesse. “tout le malheur des hommes, disait Pascal, vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre”.
Et c’est là que la philosophie entre en jeu: philosophie, cela signifie l’amour de la sagesse, et la plupart des grands philosophes vous proposent aussi, le plus souvent une voie pour apaiser ce désordre mental. Or toutes les voies ont un point commun: elles nous invitent, par la réflexion, l’analyse patiente de ce que nous sommes, à apprendre à nous connaître nous-mêmes.
Et c’est ici que la raison entre en jeu. Le philosophe est celui qui affirme simplement ceci: “si tu veux être heureux, règle ton existence !” Et si vous lui demandez “mais en fonction de quelles règles ?” Sa réponse sera “ne reçois les règles de ton existence de personne. Es-tu une machine qu’on programme ou un être humain libre de choisir ? Bien sur, écoute ce que les autres hommes peuvent te dire, t’apprendre, notamment ceux qui t’apparaissent comme les plus sages. Mais n’oublie pas que c’est ton bonheur, ta vie qui est en jeu. Alors règle-toi toi-même ! Car apprendre à se connaître soi-même, c’est apprendre à se régler soi-même.”
Mais dans cet effort pour te régler toi-même, tu vas être très vite confronté au fait que ton esprit va dans deux grandes directions, bien difficile à faire cohabiter: Oui, c’est vrai, nous cherchons tous le bonheur, notre bonheur, notre bien particulier. Mais, parce que nous sommes des êtres doués de raison, notre esprit est aussi capable de se détourner de la considération de notre être particulier, et de regarder vers l’universel, de ne plus s’intéresser à mon bien, mais au Bien universel. C’est ici qu’apparaît la notion de conscience morale, qui vient encore compliquer notre recherche du bonheur.
« la satisfaction de toutes nos inclinations tant dans leur multiplicité que dans leur intensité et dans leur durée ».
on peut en donner une définition très simple. « everlasting pleasure ». état de satisfaction pleine, entière et durable. Le bonheur est donc facile à définir, mais cette définition facile est aussi une définition pauvre, car cette définition très générale se complique dès qu’on veut la préciser.
Cela s’explique par la complexité des « inclinations humaines »: nous, humains, n’avons pas seulement des besoins biologiques à satisfaire, nous avons aussi des désirs. Le désir est une tendance spontanée et consciente vers une fin connue ou imaginée. Tout ici est dans le mot imagination. L’animal a lui aussi des tendances, mais qui le portent vers une fin biologique. Nous, humains, avons des tendances qui vont bien au-delà des besoins biologiques, parce que nous sommes doués d’une conscience symbolique, ce qui nous rend capable d’imagination, de sorte qu’il n’y a pas de limite fixe à nos désirs.
Kant appelle donc le bonheur « concept indéterminé », puisque c’est un « idéal de l’imagination ».
Toute la question est alors de se demander comment déterminer ce concept. L’ensemble des visions du bonheur, pourtant toutes très différentes, ont cependant un point commun : pour savoir ce qui peut rendre l’être humain heureux, elles partent d’une analyse de la nature de l’être humain. Et elles affirment que le désir doit se régler sur cette nature. Mais le cours sur le bonheur nous a montré combien le concept de ‘nature humaine’ est discuté et problématique.