devoir

“Obligation morale générale; ce que l’on doit faire, défini par le système moral que l’on accepte, par la loi, les convenances, les circonstances.”

Le devoir fait partie des concepts philosophiques fondamentaux parce qu’il renvoie directement au recul de la programmation instinctive chez l’être humain, et à l’apparition de la conscience réfléchie. Comme nous ne sommes plus réglés par notre nature, nous devons nous régler nous-mêmes. Disons le avec les mots de Bergson, “fonction” et “action”: chez les autres animaux, ce ne sont pas seulement les grandes fonctions de la vie qui sont définies par nature, (nutrition, respiration, reproduction, etc…), mais aussi les actions précises par lesquelles elles se réalisent (l’action de faire le nid pour l’oiseau, d’élever des pucerons pour la fourmi, de recueillir le pollen pour l’abeille, etc…). Mais chez l’être humain, avec l’apparition de la conscience réfléchie, seules les fonctions sont encore naturelle (reproduction, nutrition, respiration, etc… renvoient aux mêmes structures dans tous les corps humains), les actions, elles, ne sont pas préprogrammées, mais ouvertes à l’apprentissage, à l’autorégulation.

Les actions humaines n’étant pas réglée par la nature, l’être humain doit se régler lui-même. Le nom véritable de la liberté humaine est donc l’autonomie ou faculté de se régler soi-même, ce qui signifie aussi que l’être humain ne peut se passer de règles, c’est-à-dire d’ordre, de rigueur, de discipline, parce que c’est à lui d’organiser sa propre vie, et s’il ne le fait pas… alors il ne se développe pas. En ce sens, chez l’être humain, liberté et devoir sont profondément liés. la liberté humaine est au fond la force de volonté par laquelle je m’impose à moi-même les règles que j’ai choisi de suivre.

Entrons maintenant dans le détail de cette autorégulation: elle consiste à distinguer ce qui est bon pour nous, et ce qui ne l’est pas, à s’orienter vers ce qui est bon pour nous, et à fuir ce qui est mauvais. La capacité de se régler soi-même prend ainsi la forme de la prudence. Le premier devoir de l’être humain, c’est de réfléchir avant d’agir, parce que c’est ce travail de réflexion qui va lui permettre d’ordonner son comportement et d’organiser son existence, de sorte qu’il peut se lancer à la recherche du bonheur. L’homme prudent, c’est alors celui qui a la capacité de réfléchir à ce qu’il doit faire pour arriver au but qu’il s’est fixé: “je veux être en bonne santé, alors je ne dois pas me mettre à consommer du tabac, donc je me fais un devoir de toujours refuser lorsqu’on m’incite à fumer une cigarette”. L’homme prudent est celui qui use de son intelligence pour faire le tri entre ce qui lui permettra d’aller vers sa réalisation, et ce qui, au contraire, pourrait lui nuire.

Mais l’autorégulation va au delà de la prudence, au delà de la recherche réfléchie du bonheur: la conscience humaine ne se limite pas à rechercher ce qui est bon, et fuir ce qui est mauvais, elle apprend à distinguer aussi le bien et le mal, le juste et l’injuste. Ici on ne parle plus seulement de prudence, mais de conscience morale. L’être humain a ainsi deux façons de répondre à la question “que dois-je faire ?”

1) la première consiste à se demander ce qu’il doit faire pour parvenir à réaliser ses désirs, et ainsi atteindre le bonheur.

2) la deuxième consiste à se demander ce qu’il doit faire pour faire le bien, être moral, être juste.

La morale est définie comme “ensemble des règles de conduite considérées comme bonnes de façon absolues, et permettant de distinguer le bien du mal”

Dans la définition du dictionnaire, on trouve deux expressions essentielles: “l’absolu“, et “le bien et le mal“. Dans la prudence, les devoirs que je me donne ne me commandent pas absolument, mais relativement à mon désir de m’épanouir, de me réaliser. Un devoir absolu, au contraire, c’est un devoir qui vaut pour lui-même, sans que j’ai besoin de faire référence à un désir préalable. Dans la prudence, j’ai un désir, d’abord, et ensuite, je me donne une règle d’action pour servir ce désir,  mais dans la morale, le devoir aurait la capacité d’intervenir absolument:

Tu dois ! me dirait ma conscience morale

mais pourquoi je dois ? répondrais-je à ma conscience morale.

Et bien, tu dois, parce que tu dois !”

Voilà ce qui différencierait la morale (la distinction d’un Bien et d’un Mal absolus) de la prudence (la simple distinction de ce qui est bon ou mauvais relativement à moi, à ma famille, à mon peuple).

On comprend mieux, alors, pourquoi dans de nombreuses cultures humaines la morale et la religion sont profondément liées: le devoir moral est souvent présenté comme la loi descendue du Ciel vers les êtres humains. On doit obéir aux lois morales parce que ce sont les Dieux qui les ont faites. Dans d’autres cultures encore, le devoir ne vient pas du Ciel, mais du fond des temps: ” tu dois respecter les lois morales parce que c’est ainsi que depuis toujours nous faisons”. La distinction du bien et du mal peut ainsi être présentée comme absolue, puisqu’elle trouve son origine et son sens dans une source (le divin, ou les premiers temps) qui échappe tout à fait à la prise de l’être humain. Le Bien renvoie alors à tout ce qui a été décidé, voulu, par les Dieux ou les Ancêtres, le Malà tout ce qui nous éloigne d’eux, de leurs volontés.

Or de ce point de vue, l’apparition de la philosophie, il y a 2500 ans, a constitué une grande rupture : puisque la philosophie c’est avant tout apprendre à se connaître soi-même, les premiers philosophes ne se contenteront plus de cette référence aux Dieux. Ils vont mettre le bien et le mal en question, et tenter de construire une analyse rationnelle, intelligente de ces deux concepts. C’est ce qui différencie la morale de l’éthique. L’éthique est donc la tentative de déterminer, par la raison, par l’usage de l’intelligence humaine, le sens de la distinction entre bien et mal.

L’éthique ne s’oppose pas à la morale religieuse de telle ou telle religion, elle consiste à approcher la question morale par le seul biais de l’analyse rationnelle, sans passer par la révélation. Elle pose donc un problème passionnant: si on ne passe plus ni par les dieux, ni par les ancêtres, va-t-on encore réussir à conserver l’idée qu’il existe des valeurs absolues, des devoirs inconditionnels ? Un grand écrivain russe, Dostoievsky, faisait dire à l’un de ses personnages: “si Dieu n’existe pas, tout est permis“.

L’une des tentatives philosophiques les plus célèbres pour donner un fondement rationnel à la morale est celle d’Emmanuel Kant. Il a en effet tenté de démontrer qu’il existe bien un absolu, et un seul, qu’il appelle l’universalité. Le Bien, ce serait alors d’agir de telle sorte que mes actions s’accordent avec cet ordre universel. Le Mal, ce serait au contraire agir en n’ayant aucune préoccupation pour cet ordre. Kant précise que, sur notre planète, l’un des noms de cet universel, c’est tout simplement l’Humanité dans son ensemble. L’absolu serait ainsi la dignité, la valeur de chaque être humain, indépendamment de son origine, son sexe, sa religion. 

Le devoir renvoie à toutes les situations dans lesquelles l’homme se sent obligé de faire quelque chose. Le devoir renvoie donc à l’expérience d’une pression, mais pas une pression extérieure,  non, il s’agit plutôt d’une pression intérieure. 

– lorsque la pression est extérieure, on ne parle pas de devoir, mais  de contrainte et d’oppression, qui forcent ma volonté.

– lorsque la pression est intérieure, on parle bien d’un devoir qui m’appartient, d’une obligation qui renvoie à mon choix, ma décision, ma liberté. Le devoir est l’expérience d’une pression intérieure qui ne force pas ma volonté, mais l’amène à se mettre en question.

Là encore, une comparaison avec certains animaux est utile pour comprendre la notion. Chez le reptile, il n’y a pas de « devoir », parce que la volonté de vivre s’exprime sans délai ni détour. Le reptile est impulsif. Au contraire le devoir apparaît à partir du moment où la conscience n’est pas immédiatement entraînée par l’impulsion du moment, mais prend le temps de penser avant d’agir pour se demander justement : « euh, une minute, que dois-je faire ? »

Cette question prend alors deux formes. L’une concerne ma recherche du bonheur, ma volonté d’être heureux et l’autre concerne mon existence morale, ma volonté d’être juste.

  1. Que dois-je faire pour être heureux ? Les devoirs de la prudence :

dans le cas de la prudence, on utilisera le verbe « devoir », mais pas le nom commun. Ainsi, si je veux planter un clou, je dois utiliser un marteau. On a utilisé le verbe « devoir », mais on ne dira pas qu’utiliser un marteau est un devoir.

Dans ce cas de figure, l’être humain est capable de rechercher non pas seulement une satisfaction immédiate, mais un bonheur durable, en élaborant une stratégie, un plan, pour atteindre cet objectif. Je ne me sens donc pas ici sous la pression « du devoir », mais je cherche à poursuivre mes intérêts égoïstes.

 

  1. Que dois-je faire pour être juste ? Les devoir moraux :

dans le cas de la morale, on utilise à la fois le verbe et le nom commun. Ainsi, si je dis que je dois respecter autrui, j’ai utilisé le verbe « devoir », et je peux dire aussi que le respect d’autrui est un devoir.

Donc le devoir moral, c’est le devoir au sens fort.

Au centre du devoir moral, et de l’idée de justice, il y a la conscience que je ne suis pas le seul être digne d’être respecter. Je veux être heureux, j’ai conscience de ma valeur, de ma dignité, mais j’ai aussi conscience que d’autres êtres que moi sont autour de moi, et que eux aussi ont une valeur et sont des êtres dignes d’être respectés.

Le devoir est une notion essentielle parce qu’elle renvoie au fait que dans ma conduite de ma vie, j’ai le devoir de faire attention aux autres, à mes alter ego. Je me sens donc ici sous la pression « du devoir » parce que j’ai conscience que je ne peux pas me contenter de me livrer à la poursuite de mes intérêts égoïstes. La morale définit alors l’idée qu’il existe un bien et un mal, que le mal doit être fui et le bien recherché, même si ces deux activités peuvent nous demander un effort sur nous-mêmes. Toute morale repose donc sur un ensemble de valeurs. Une valeur est un symbole dont on affirme qu’il relie l’homme à son être véritable. Toute valeur s’appuie ainsi sur des lois qui opposent ce qu’on doit et ce qu’on ne doit pas faire.

Exemple de valeur : le respect d’autrui. Affirmer cette valeur c’est affirmer que celui qui respecte autrui est un être humain. Celui qui ne le respecte pas abîme sa propre humanité. Ce qui débouche sur une loi, dérivée de cette valeur:  tu dois toujours respecter autrui.

LISTE DES CONCEPTS ESSENTIELS

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