il y a une distinction conceptuelle essentielle pour comprendre les enjeux de la notion d’Etat. Cette distinction c’est celle qui différencie la VIOLENCE de la FORCE.
La VIOLENCE est toujours problématique, car elle consiste à nier autrui. Faire violence à l’autre, c’est nier son existence en tant qu’être humain, en tant que fin en soi. Mais alors, quand on fait violence à son enfant, on le nie en tant qu’être humain ? C’est une excellente question, et je vous remercie de l’avoir posée, car en tant que papa, je suis régulièrement confronté à elle. Oui, dans la mesure où tu veux que ton enfant devienne un être humain autonome, il faut éviter d’être violent avec lui. Mais ton enfant n’est pas encore un être humain autonome. Il est plein de ses appétits, de ses passions, et il ne sait pas les réguler. Tu dois le faire à sa place. Même si ton but est qu’il ait sa fin en lui-même, il n’en est pas encore capable. C’est toi, son père ou sa mère, qui doit décider pour lui, choisir les règles, et les lui imposer. En faisant cela on ne nie pas son enfant en tant qu’être humain pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas un être humain “en acte”, mais un être humain en devenir. Donc oui, tu peux lui faire violence, tu dois même lui faire violence, au nom de sa propre humanité. (par contre, chaque fois que tu lui fais violence parce que toi tu es énervé, dépassé, etc… là, tu passes les bornes). Cette violence doit donc être strictement proportionnée à ta finalité, qui est de faire de ton enfant un être humain en acte. Le forcer à manger tout dans le bol, pas juste les pâtes, mais aussi les légumes, c’est lui faire violence, mais pour son bien. Le forcer à rester à table pour cela, le punir en l’envoyant au lit sans histoire, ça peut être pertinent. Le battre, quel intérêt ?
Vous vous rappellerez de tout cela lorsque vous serez vous-mêmes parents.
Faire violence à son enfant est déjà délicat. Mais faire violence à un autre être humain, c’est inadmissible. Esclavage, viol, meurtre… Qui es-tu, qui suis-je, pour exercer ma violence sur autrui et ainsi me rendre maître de son corps ? Ne sommes nous pas tous deux des êtres humains ?
C’est ici que l’Etat joue un rôle si important: en accaparant et en concentrant en son sein le monopole de la VIOLENCE, il vide du même coup la société, l’ensemble des individus, de leurs capacités mutuelles de se faire violence. Il crée du coup ce qu’on appelle la “PAIX CIVILE”.
Cette capacité qu’a l’État de concentrer en son sein le monopole de la violence ne fonctionne pleinement que si ce monople est reconnu comme LEGITIME par l’ensemble de la population. En gros ça donne ceci : « ok, nous le peuple, on est d’accord pour que l’État ait seul le droit de punir, de taper, d’emprisonner, de saisir, voire même de tuer, parce que ça nous arrange : ça nous évite de nous taper dessus, et ça va faciliter la coopération entre nous. Car s’il y en a un qui commence à passer les bornes, un petit coup de fil au 17 – police secours- et la tranquillité sera vite retrouvée ».
Et en vidant la société de sa violence, l’Etat ne la vide pas de ses forces : oui, l’État vide la société de l’usage de la VIOLENCE, mais pas de l’usage de la FORCE. En physique une force définit l’action d’un objet sur un autre objet. Bon, la violence fait partie de la FORCE : un couteau qui entre dans le ventre de quelqu’un correspond bien à la définition de la FORCE, mais toutes les forces ne sont pas des violences. Un ami qui te tend et te serre la main exerce lui aussi une FORCE sur toi, qui n’a rien à voir avec la violence. Il y a même des FORCES très utiles. Et le rôle de l’État n’est pas de faire disparaître le jeu des forces sociales. Le rôle de l’État est de vider le jeu des forces sociales de toute violence afin de permettre une meilleure efficacité de ce jeu.
Cela veut donc dire que la « PAIX SOCIALE » n’est pas un espace immobile. Dans toute société, il y a des « RAPPORTS DE FORCE » entre les individus, et chacun veut exercer sa force pour faire avancer ses intérêts. L’ouvrier voudrait pouvoir forcer le patron à payer plus, et le patron voudrait pouvoir forcer l’ouvrier à être moins payé.
Mais comment pourraient-ils faire cela ? En passant par la LOI. L’État a donc le monopole de la violence physique légitime, mais la plupart du temps, il ne s’en sert pas. Ce monopole n’est que le fondement de son pouvoir. Son pouvoir ne consiste pas à mettre un fusil derrière tout le monde, il consiste à s’appuyer sur ce monopole de la violence pour imposer à tous des LOIS COMMUNES et ainsi à organiser la vie sociale. Or ces LOIS, elles ne sont pas là pour nous faire violence, mais bien pour nous FORCER à respecter certains cadres. La loi nous OBLIGE.
Quel rapport avec le patron et l’ouvrier ? Et bien si le patron pouvait exercer une PRESSION (une force donc) sur l’État pour changer les lois, il pourrait par exemple faire baisser le salaire minimal. Si l’ouvrier pouvait exercer une pression sur l’État pour changer les lois, il pourrait au contraire faire monter le salaire minimum, abaisser l’âge de la retraite, augmenter le niveau de protection sociale.
Résumons : les RAPPORTS DE FORCE SOCIAUX s’expriment notamment sous la forme d’une pression exercée sur l’État afin qu’il produise des lois favorable à tel ou tel. Il y a là un paradoxe tout à fait saisissant :
– Alors que nous avons commencé par présenter l’État comme une FORCE DESCENDANTE imposant, grâce au monopole de la violence, l’OBLIGATION de suivre les LOIS au peuple,
– il nous apparaît aussi que la société exerce sur l’État un ensemble disparate et conflictuel de FORCES MONTANTES qui ont pour but d’influencer la force descendante de l’État, la législation.
Et, nous allons le voir en classe, c’est en fait ce mouvement MONTANT qui est le mouvement principal qui anime ce qu’on appelle la VIE POLITIQUE.