la question du suicide

Tout d’abord, distinguons deux types de suicides: se donner la mort ou se laisser mourir parce que le corps souffre trop est une forme de suicide. Elle existe aussi chez les animaux, qui peuvent se laisser mourir (par exemple les chimpanzés lorsqu’ils sont dans des zoos où leur espace a été mal aménagé, trop petit, etc…). Cela se retrouve aussi chez les êtres humains en fin de vie qui demandent à être euthanasiés, parce que les médecins reconnaissent qu’ils n’ont aucune chance de guérison ni d’amélioration de leur état. (pratique interdite en France  mais autorisée en Belgique).
Mais l’humain peut se suicider pour d’autres raisons, qui ne sont pas liées à l’état de son corps. Nous sommes doués de conscience symbolique, et donc notre vie ne peut se résumer à la santé de notre corps. Nous avons besoin que notre vie ait un SENS. Lorsque nous ne trouvons pas ce sens, alors même que notre corps est en bonne santé, nous pouvons tomber dans des états dépressifs générant tant de souffrance qu’ils peuvent pousser au passage  à l’acte.
Pourquoi cette forme de suicide ne peut être légitimée ? Parce qu’elle nie un point fondamental de l’existence humaine: l’humain ne vit pas seulement dans l’instant, sa temporalité est beaucoup plus vaste. être humain, c’est avoir un futur. Or mon état dépressif d’hier ne dissipera peut être demain. Et en mettant fin à mes jours aujourd’hui, je manque à mes devoirs vis à vis de l’humain que je serais demain.
Ce point dit au désespéré d’aujourd’hui quelque chose qui est pour lui difficile à concevoir: que son désespoir peut se dissiper, et que sa vie peut repartir. Cela arrive d’ailleurs fréquemment puisque c’est le principe même du DEUIL. Lorsqu’un être qui nous est très cher disparaît, cette mort nous submerge d’autant plus que cet être nous était proche. Nous nous trouvons alors littéralement plongé dans un état mental où la vie perd sa saveur, notre rapport au temps semble bloqué sur le passé, passé où l’autre était avec nous, et nous perdons toute capacité de nous projeter dans le futur. Or si cet état est normal, et même essentiel à vivre, il est aussi transitoire. les mois passeront, nous n’avons pas cessé d’aimer l’être cher, mais sa perte prend sa place dans notre vie. Sa mort n’est pas notre mort, et nous refaisons surface.
Ceci est un point essentiel: les animaux ignorent le deuil, parce que leur rapport au temps est beaucoup moins complexe. Ce que le deuil nous apprend est un point fondamental: il y a un piège dangereux pour l’être humain, c’est la prison du présent. Notre vie se déroule certes au présent, mais elle est fondamentalement un processus qui dure. C’est au philosophe français Henri BERGSON que nous devons l’idée que le mot “DURÉE” est le mot central pour comprendre le rapport de l’humain à son existence.

C’est ici que le suicide n’est pas acceptable, que le suicide ne peut être justifié ni encouragé: tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Ton émotion négative du moment, si puissante soit-elle, ne doit pas avoir le droit d’envahir ton existence à venir. Une image est ainsi essentielle dans l’imaginaire des humains, c’est celle du PHÉNIX. Oiseau mythique qui meurt en se consumant, devient cendre, et renaît de ses cendres. Cet animal n’existe pas, mais ce processus existe bel et bien. Il renvoie à cet expérience qui consiste à toucher le fond (à cause de la dépression, de la guerre, de l’échec, du deuil, etc…) et à néanmoins remonter.

C’est en ce sens qu’on peut argumenter qu’il y a bien un DEVOIR de ne pas mettre fin à ses jours.
Il ne s’agit pas de juger le suicidé. Comment en vouloir à celui ou celle qui a été dépassé par sa douleur. Il s’agit de ne laisser aucune place conceptuelle dans notre cerveau à l’idée que le suicide puisse être bon ou justifié.

Le seul suicide disputable c’est la  question de l’euthanasie de la personne en fin de vie, ou le suicide de celui qui n’a objectivement plus aucun espoir (Sénèque mettant fin à ses jours plutôt que de se laisser étrangler par la garde de Néron).

Une citation pour finir, de Pierre Corneille, le grand tragédien du XVIIème siècle:

“le temps est un grand maître, il arrange bien des choses”.

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