(cet article est une suite de « La complexité du rapport de l’être humain avec la réalité », mais peut être lu pour lui-même)
Lorsqu’un individu est pris dans une dérive sectaire, il se retrouve enfermé à l’intérieur d’un délire, celui du chef charismatique de la secte, et qu’il prend pour la réalité elle-même. Lorsqu’un individu commence à s’éloigner de la secte où il était jusque là enfermé, c’est parce qu’il commence à douter de la vérité du discours du chef charismatique. Il commence à avoir du mal à le tenir pour vrai, il se met à avoir des interrogations en tête.
Douter, s’interroger, c’est le départ de toute démarche de connaissance, et de toute la démarche scientifique. D’ailleurs lorsqu’on parle des sciences, c’est souvent en utilisant l’expression « recherche scientifique », parce que la caractéristique principale de l’esprit scientifique est qu’il ne se contente jamais de tenir pour vrai une fois pour toute. On appelle cette tendance au doute, à l’interrogation, le scepticisme.
Mais si l’interrogation, l’esprit sceptique, est bien le point de départ de la science, celle-ci ne s’arrête pas là. Le doute est pour elle un moyen de s’élancer vers la connaissance. Comment le fait-elle ? Avoir l’esprit ouvert ne suffit pas. L’esprit une fois libéré de sa tendance à tenir pour vrais les préjugés de sa culture, comment s’élancera-t-il à la recherche de connaissances solides ?
L’esprit scientifique a deux points d’appuis, comme s’il marchait sur deux jambes : l’observation et le raisonnement. Comme le dit Bertrand Russell, la méthode scientifique consiste à partir des observations que l’on peut faire de la nature et du raisonnement basé sur celles-ci pour établir d’abord des faits au sujet de la réalité, puis des lois qui expliquent la production de ces faits. Mais ce qui est vrai pour la recherche scientifique l’est aussi pour toutes les autres dimensions de la vie humaine.
Il n’y a pas qu’en science que nous avons soif de vérité. C’est aussi le cas dans nos relations humaines (amour et amitié), dans notre vie professionnelle. Pour avoir des relations saines avec les autres, il est important de toujours rester observateur, et de savoir raisonner sur les observations que nous faisons.
Mais la définition que nous donne Russell de la science est incomplète. L’esprit scientifique n’est pas seulement observateur et logique. Il est aussi ouvert à deux autres points d’appuis, de sorte que dans la recherche de la vérité nous n’avons pas deux, mais quatre jambes. Ces deux autres points d’appui sont l’intuition et le dialogue.
L’intuition est une faculté étrange, la capacité de pressentir une vérité de l’intérieur de notre propre esprit. Un célèbre mathématicien, Raymond Poincaré raconte ainsi qu’il peinait depuis de longues semaines sur une impasse dans une démonstration mathématique. Et alors que, ayant pris quelques jours de vacances, il descendait de l’autocar qui le menait à sa villégiature, lui vint soudainement en tête la révélation de la solution sur laquelle il avait si longtemps peiné en vain. Mais ce pouvoir d’intuition n’appartient pas qu’aux grands scientifiques ! Combien de conjoints « pressentent » l’infidélité de leurs conjoints, pour ne prendre que cet exemple ?
Mais attention à ne pas se laisser emporter trop loin par la « magie de l’intuition ». L’esprit rationnel sait bien qu’il ne peut tenir sur cette patte unique. L’intuition, une fois en tête, doit se frotter et se confronter à la réalité des observations et à la rigueur du raisonnement. Et ici la 4ème patte entre en jeu. On ne saurait longtemps persévérer seul dans la recherche de la vérité. Le dialogue, c’est-à-dire la communication aux autres de mes intuitions, de mes observations, de mes raisonnements, est essentiel.
C’est ainsi que tout scientifique, lorsqu’il croit avoir trouvé quelque chose, l’expose à la communauté des savants dans une publication scientifique.
Pour récapituler tout ce que nous avons acquis ici, reprenons notre fil directeur : celui de la dérive sectaire. À l’inverse, dans une secte, on ne valorise aucune de ces quatre activités : observation, raisonnement, intuition, dialogue. Pas de dialogue, puisqu’il s’agit d’imposer un discours descendant, celui du guide charismatique, qui doit s’imposer à la conscience de l’adepte, et passer, dans son esprit avant l’exercice personnel de l’observation, du raisonnement, de l’intuition.
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