Comprendre la dérive sectaire

Pour commencer, il ne faut pas confondre « religion » et « dérive sectaire », et ce pour deux raisons

  1. – parce que toutes les religions ne sont pas des dérives sectaires. On peut être un fidèle, c’est à dire avoir une croyance, un code moral lié à cette croyance, et une pratique rituelle à l’intérieur d’une institution sociale (le clergé) sans être dans la dérive sectaire.
  2. – parce que toutes les dérives sectaires ne sont pas religieuses : on peut tomber sous l’emprise d’une personne ou d’un groupe, sans que celui-ci se réclame de valeurs religieuses.

Alors, de quoi s’agit-il ?

la dérive sectaire renvoie à la formation d’un groupe d’individus partageant des idées extrêmes et se soumettant aveuglément à l’autorité charismatique d’un chef défendant ces idées extrêmes.

Cela implique

  •  un très fort engagement demandé à ses membres
  •  une séparation vis à vis du reste de la société civile
  •  une stricte hiérarchie
  •  une réponse, par le discours du chef charismatique, à toutes les grandes questions existentielles, réponses qui promettent une voie de développement personnel à tous les adeptes
  •  la mise en place de systèmes formels et informels de contrôle
  •  le refus de toute remise en cause de la doctrine et de l’autorité du chef.

Le recrutement des adeptes dans une secte se fait notamment en s’intéressant aux individus traversant un passage difficile de leur vie (deuil, isolement social, difficultés familiales, addictions, etc.) Le processus consiste d’abord à donner de l’attention à cette personne, afin d’établir des liens amicaux. Ces liens sont exploités pour devenir des canaux d’information, utilisés pour endoctriner le nouvel adepte. Le voici peu à peu intégré dans un environnement qui lui apparaît d’abord comme amical, familier, et qui se montre à lui comme porteur d’un enseignement profond sur le sens de l’existence.

Cet endoctrinement est d’autant plus facile que l’individu a été peu à peu coupé de ses autres sphères sociales. Le voici affectivement dépendant des membres de la secte. Il devient alors possible d’ouvrir d’autres canaux d’influence, en exerçant sur lui une pression (culpabilisation, voire humiliation) qui va toujours dans le même sens : l’intégration au groupe sectaire est ton seul horizon.

L’individu n’est pas seulement coupé de ses points d’appui extérieurs (famille, amis), il est aussi coupé de sa propre pensée puisqu’on l’invite à ne pas questionner, à ne pas faire usage de sa raison, mais à se conformer au groupe.

Il se produit alors dans l’adepte un conflit intérieur, appelé « dissonance cognitive ». Car si je reconnais que la secte où je me suis intégré pose des problèmes, cela remet en cause tout le choix de la nouvelle vie où je me suis lancé.

Alors pourquoi ce processus est-il qualifié de « dérive sectaire » ? Où est la dérive ? Il s’agit d’un processus pervers parce qu’il aliène l’individu, il le rend étranger à lui-même, il le vide de sa propre substance pour en faire une simple marionnette, un être vide dont les mouvements sont actionnés de l’extérieur, par le chef charismatique.

Lorsqu’en philosophie nous avons présenté l’être humain comme un « être de raison », être capable de penser par lui-même, autonome, nous n’avons pas indiqué par là que tout être humain était parfaitement doué de raison. Nous avons indiqué qu’il s’agissait d’une dimension essentielle de notre humanité, une dimension que nous devons développer pour actualiser notre humanité.

Mais cela implique un processus de formation. Or la dérive sectaire est un processus, au contraire, de déformation. C’est pour cela qu’on parle d’aliénation. Dans la secte, on va créer un dispositif qui va couper l’individu de sa propre rationalité. C’est pour cela que l’endoctrinement vise d’abord des personnes en grande souffrance émotionnelle et sentimentale. Pour affaiblir les capacités rationnelles de l’individu et le subjuguer, on va s’attaquer à lui par le versant émotionnel, en lui donnant de l’affection, de l’attention, de la sympathie.

Alors, comment différencier dérive sectaire et religion authentique ? La réponse a été donnée par John Locke il y a 4 siècles. Dans la religion authentique, le clergé, la hiérarchie religieuse est animée d’une intention sincère de voir chaque fidèle progresser et élever son âme. Toute démarche authentiquement religieuse privilégie ainsi la sincérité, la charité, et la bienveillance. Et chaque fidèle est vu comme une personne digne d’être respectée. Au contraire, dans la dérive sectaire, c’est le désir de domination, et au final le penchant animal à l’égoïsme qui anime la hiérarchie religieuse. Et chaque fidèle est vu comme une marionnette sur laquelle on exerce son contrôle sans la moindre vergogne.

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